Dix ans plus tard, Soda pétille toujours

« Révélations » a été préparé sans Tome, mais avec le soutien de ses enfants.

Après la mort de Tome, il était clair pour Noam, Zoé et moi qu'il fallait terminer le diptyque entamé avec « Résurrection », parce que leur père l'aurait voulu ainsi. Nous avons donc récupéré des pages manuscrites, des gribouillis, des notes sur sa tablette ou son téléphone. Puis, nous avons recoupé avec ce que Tome nous avait dit de ses idées quant au scénario de Révélations. Heureusement qu'il parlait plus qu'il n'écrivait !

Vous saviez donc où Tome voulait aller ?

Oui et non. Philippe me donnait son scénario une page à la fois, qu'il n'écrivait que lorsque j'avais fini de dessiner la précédente. Quand il est mort, je venais de terminer le dessin de la page 30 et n'avais donc pas la suivante. Ses notes nous ont donné les grandes lignes de son but scénaristique, mais pas comment il avait prévu de s'y rendre.

C'est alors que Zidrou et Falzar sont entrés en scène.

Après avoir un moment pensé faire l'album seul, deux noms de scénaristes me sont venus en tête : Zidrou et Nicolas Bary, réalisateur du film Le petit Spirou et scénariste du Monde des cancres. Zidrou, au départ trop pris, a finalement accepté la tâche complexe de terminer ce diptyque avec l'aide de Falzar. Le défi, c'était de placer tous les éléments narratifs fournis par Philippe et d'inventer les éléments manquants, mais tout en gardant "l'esprit Tome", un truc indéfinissable mais que l'on perçoit s'il n'est pas là. Ils y sont impeccablement parvenus. Zidrou et Falzar sont des tueurs. Deux de plus dans la série.

Ce Soda s'ouvre d'ailleurs sur des obsèques, après la visite d'un tueur chez sa maman...

Ce qui va mener Soda vers une quête personnelle plutôt que vers une simple enquête. Car un gars qui s'attaque à sa mère – sans spoiler l'album – a peu de chances d'avoir un rôle, ne fût-ce que de figurant dans un tome suivant ! Ce terrible tueur, prénommé Trash, est une création de Philippe. Lorsque j'ai eu à le dessiner la première fois, j'ignorais qu'il aurait cette importance dans l'album !

Dans « Révélations », Pronzini, l'ancien ami de Soda, lui donnera de troublantes informations sur le 11 Septembre. Un angle scénaristique que certains jugeront complotiste.

C'est le point de vue de Pronzini. Philippe tenait avant tout à faire de Soda une fiction. Si ça fait réfléchir le lecteur, c'est du dommage collatéral ! Tome n'adhérait clairement pas à 100 % aux théories officielles concernant les attentats du 11 Septembre, mais il ne pensait pas détenir pour autant la vérité. Il s'était lourdement informé sur le sujet, arrivant à la conclusion qu'il subsistait des zones d'ombre et de coïncidences tenant du paranormal. Philippe avait une bonne connaissance de l'histoire, des agissements occultes de la CIA, mais aussi des méthodologies terroristes de tous bords. On ne saura jamais ce qui s'est exactement passé le 11 Septembre. On sait par contre que l'invasion de l'Irak par les USA repose bel et bien sur un mensonge "officiel". Il y a donc un précédent. Pour moi, le terme de "complotiste" pro-ci ou anti-ça stoppe souvent toute possibilité de débat, ce qui me semble dangereux.

Dans « Révélations », comme toujours, New York est un personnage à part entière.

Philippe et moi étions partis à New York en repérage. Lui y était déjà souvent allé, ce qui lui avait permis de voir changer la ville, devenue plus sécuritaire. J'ai pris beaucoup de photos sur place. Je n'avais pas le temps de dessiner, car on marchait beaucoup ! J'ai ramené l'impression d'une ville de contrastes, avec des personnages aussi dissemblables qu'un rabbin en skate ou un rappeur noir en train de tricoter dans le métro. Ces individualités font vivre les arrière-plans de Révélations, où l'on peut aussi trouver Stuf, Janry et bien sûr Philippe.

Ton dessin, dans « Révélations », mêle les qualités de Warnant, de Gazzotti et... les tiennes !

C'est inévitable, quand on reprend un personnage existant, de s'inspirer de ce qui a été fait auparavant. J'aime beaucoup le travail de Luc Warnant, qui avait été le premier dessinateur de Soda, ainsi que celui de Bruno Gazzotti, qui lui avait succédé à partir du tome 3. Tous deux m'ont inspiré. Mais, comme ma main est bavarde, les trois styles se sont mélangés ! Si j'avais poursuivi la série, après «  Révélations », sans doute ma main aurait-elle pris le dessus comme celle de Gazzotti avait fini par prendre la main sur celle de Luc Warnant.

Ton diptyque sur Soda est réalisé sur papier alors que tu travailles maintenant sur palette graphique. Pourquoi ?

J'ai publié « Résurrection », le premier tome de ce diptyque Soda, alors que je n'étais pas encore passé sur tablette. Révélations, par souci de cohérence, a donc été réalisé de la même manière. J'aime bien le papier. Ça donne une bonne gestion des détails, que l'on dose au plus juste. Sur palette graphique, en zoomant sur chaque case, on a tendance à en rajouter, à dessiner tous les détails d'une patte de mouche. Puis, quand on dézoome, on se rend compte que cette dernière est perdue au milieu de dix immeubles new-yorkais et qu'elle n'apporte absolument rien à la narration !

Tome était visiblement plus qu'un scénariste pour toi.

Il était déjà important pour moi avant que je ne le connaisse, car je lisais tous ses albums. Nous avons vécu ensuite une amitié rare. Nous travaillions ensemble. Nous avons fait le tour du monde ensemble. J'ai autant appris que ri avec lui. Terminer « Révélations » était donc essentiel à mes yeux. C'est bizarre à dire, mais Philippe était avec moi pendant sa réalisation. À chacun de mes traits.

Zidrou et Falzar ont terminé le scénario de « Résurrection » après la mort de Philippe Tome. Leur narration est-elle différente de la sienne ?

Non, car ils ont justement essayé de travailler dans le même style que Tome, ce qui était la principale difficulté de l'exercice. La grosse différence, c'est que Philippe attendait que j'aie terminé de dessiner une page avant de me donner le scénario de la suivante. Zidrou et Falzar m'ont tout donné d'un coup, ce qui m'a fait tomber de ma chaise tellement j'ai peu l'habitude !

Tu avais fait des repérages photographiques à New York pour cet album. Zidrou et Falzar ont-ils choisi, pour ses dernières pages, des lieux que tu n'avais malheureusement pas visités

Non, mais de toute façon j'étais au moins rassuré sur une chose : c'est que, de son vivant, Philippe avait déjà choisi l'endroit de la baston finale !

Soda hors série Tome 2/2 - Disponible en librairie le 15 novembre